Le blog des 3 A... : Trois Retraités Heureux de l'Être...
22 Juillet 2024
L'esprit est ardent mais la chair est faible...
Nous vivons une époque moderne où tout finit par se savoir, même qu'un abbé adulé était en fait aussi un "vieux porc".
L'occasion de vous proposer une nouvelle de Louis Pergaud publiée dans "De Goupil à Margot" :
« Très loin de la naïveté des histoires animalières pour enfants, Pergaud propose en fait une succession de contes cruels ayant pour thèmes l’humiliation, le viol, l’égoïsme, la mutilation, la castration, la captivité et la mort ...»
( Écrit en 2015 par Nicolas Beaupré, membre de l’Institut universitaire de France.)
Sous le dôme central aux sept arches de terre de la taupinée, Nyctalette s’éveillait du long sommeil hiémal consécutif à une interminable errance par la solitude froide de ses galeries. Une tiédeur caressait sa peau, la glaise était plus molle et la joie nerveuse qui secouait de sa demi-léthargie son corps amaigri lui disait que la vie normale, longtemps interrompue, allait reprendre avec cette chaleur.
Depuis longtemps elle explorait en vain les longs corridors de son terrain de chasse pour n’y rencontrer que trop rarement la proie convoitée et facile : insecte ou ver dévoré sur place, ou l’adversaire puissant contre lequel il fallait combattre pour jouir en paix d’une profitable victoire.
Sa dernière grande lutte s’abolissait presque dans son souvenir : une bête longue, longue (un serpent), fuyait en sifflant dans ses galeries et elle avait dans cet espace resserré atteint facilement le reptile qui ne pouvait progresser bien vite. Elle l’avait arrêté par la queue et remontant une froide et interminable échine, avant que l’autre eût eu le temps de se retourner, de ses pattes de devant, puissamment armées, elle en avait fait deux tronçons inégaux malgré les contorsions violentes du corps se tordant comme un fouet.
Les dépouilles opimes, une chair délicate et graisseuse la nourrirent longtemps ; puis de longs sommeils suivirent ; de petits insectes en fuite devant le froid, des grenouilles, des rats lui servirent ensuite de pâture, puis rien.
Alors les sommeils devinrent plus longs, les chasses interminables, et, dans les couloirs où des éboulis se produisaient, la petite taupe, devant l’inutilité de l’effort, ne songeait plus lorsqu’elle passait à transporter à la galerie centrale la terre qui encombrait ses chemins.
Mais maintenant que la jeune tiédeur lustrait le velours de sa peau, Nyctalette sentait courir autour d’elle ce frisson vague de l’obscur travail des transformations chimiques, de l’aspiration des racines et des sèves en marche.
La réparation de ses couloirs sollicitait son activité réveillée. D’en haut, comme des cordages verticalement tendus, de longues racines blanches pendaient, d’autres jaillissaient d’en bas, chaque jour il en poussait de nouvelles, et, comme un bon ouvrier, comme un garde forestier qui, le printemps venu, élague avec soin les tranchées de sa forêt, elle passait chaque jour pour rompre de ses pattes de devant, aux scies redoutables, ce lacis blanchâtre de racines envahissantes.
La tiédeur de sa demeure augmentait par degrés, et de plus en plus Nyctalette sentait courir autour d’elle les aspirations de la vie, le flux enivrant des sèves brutes dont les capiteuses émanations montaient en elle comme un jeune vin, provoquant des saouleries lourdes plus accablantes cent fois que celles qui font bramer d’amour, aux jours de printemps, les cerfs ivres de la tendre pousse des jeunes bourgeons.
Les insectes réapparaissaient ; les vers, descendus au plus profond de la couche végétale, remontant vers la verdure pressentie, s’égaraient dans ses corridors, et Nyctalette, pour se dédommager des longues privations de l’hiver, dévorait tout ce qu’elle rencontrait au hasard de ses promenades.
C’était maintenant de plantureux festins, de multiples collations, qui lui faisaient récupérer les forces perdues, enrichissaient subitement son organisme, et dont l’influence, combinée au trouble grisant des sèves montantes, concourait à mettre tout son être dans l’état d’exaltation fébrile, précurseur de toutes les grandes crises de la vie animale.
Son temps se comptait par chasses et par sommeils, et chaque réveil la retrouvait plus agitée encore qu’au réveil précédent.
Ce jour-là, au cours de sa chasse, elle avait soigneusement tranché, au ras de la voûte circulaire de ses corridors, les racines tenaces des chiendents ; elle rentra dans la galerie centrale, et, sur la terre battue, au centre des colonnes de glaise, comme sous un dais, elle se laissa aller à ce demi-sommeil des bêtes que traque une crainte imprécise ou qu’un instinct fatal, un besoin insatisfait travaillent obscurément.
[...]
Le texte bientôt mis en voix... enfin, si je trouve une voix qui veuille bien le lire, j'en ai un peu marre de jouer les petites poules rousses... alors en attendant c'est Paul, une voix de synthèse qui lit le texte...
a.l.s
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Enseignant spécialisé pendant plus de 42 ans, maintenant en retraite dans un petit village de Franche Comté, je coule des jours paisibles, mais sans néanmoins avoir arrêté toute activité sur le Web... Pédagogique ou pas...
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